MANIFESTE

Contre les printemps silencieux… 

Je suis un produit de notre civilisation thermo-industrielle. J’ai grandi dans un monde où abondance, production, liberté, progrès et démocratie semblent indissociables. Où « aller sur Mars parait plus excitant, plus sexy, plus viril, qu’atterrir sur Terre » pour reprendre les mots de Bruno Latour. Et il m’aura fallu quelques décennies pour prendre conscience que j’appartiens – que je le veuille ou non – aux « Modernes ».

Les « Modernes » sont dénués de cosmogonie, ils vont de l’avant mais n’ont pas de direction. Comme les Shadoks, ils pompent sans savoir vraiment pourquoi, si ce n’est que « c’est en pompant qu’on arrive à quelque chose ». Et j’ai pompé et je pompe encore. Ma destinée semble rattachée aux désirs d’Elon Musk, à cette insatiable soif qu’a l’homme occidental de repousser les limites de son horizon. Mais pour aller où ?

J’ai beau transmettre à mes enfants la joie que procure le fait de sauter dans les flaques d’eau, de se rouler dans la boue, ou de comprendre un paysage, ils ne manquent pas une occasion de se saisir d’une branche pour me lancer : « Regarde papa, c’est ma fusée ! » ou bien « BROOUM, c’est ma tronçonneuse ! Attention, je vais te couper en deux ! ». Mais dans dix ans, je ne doute pas qu’ils me diront : « Papa, c’est la faute de ta génération tout ça ! ».

Comment penser la suite de l’aventure – de leur aventure – dans un monde où l’émancipation rime avec domination de la nature, où l’immédiat prime sur le long terme, où le dialogue se réduit à de simples tweets ou likes ? Comment les prémunir de la chute sans les empêcher de marcher ? Comment les aider à résister à tout ce qui met en péril l’habitabilité de la Terre ?

Voilà sans doute pourquoi j’écris et réalise des films, pour tenter de répondre à ces questions, pour faire l’inventaire de nos sociétés, pour mieux comprendre les êtres qui peuplent la terre et le ciel, pour apporter de la nuance à ceux qui font les lois, pour donner à entendre ceux qui pensent le monde. Pour réveiller les consciences, inventer un nouveau récit, nous donner une chance d’atterrir.

Pourtant, je reste conscient que pour « ramener une histoire », il faut parfois prendre l’avion et utiliser une caméra, deux entités qui n’auraient pas d’existence sans l’exploitation des ressources de la Terre. Je m’efforce de concilier ces contradictions, car je crois en la puissance des images et de la subjectivité pour transmettre la connaissance, enseigner l’altérité, et inspirer le changement.

Mes films ont touché des millions de spectateurs, mais malgré cela, diffusion après diffusion, un sentiment d’impuissance et de révolte s’est progressivement installé en moi. Il m’est devenu viscéral de m’engager de manière plus concrète encore, plus transversale. Progressivement, mes films deviennent des plaidoyers à la fois poétiques et pragmatiques, des cris du cœur, des actes de résistance qui dépassent les écrans. J’ai besoin de pouvoir regarder mes enfants dans les yeux sans m’entendre dire qu’on savait mais qu’on n’a rien fait. Je crois en la force de l’intelligence collective. Je cherche donc à fédérer, rassembler et m’associer à ceux qui non seulement questionnent l’avenir de l’humanité, mais sont prêts à semer les graines d’autres possibles. Je cherche à faire œuvre utile.